L'Œuf de dragon, George R.R. Martin.

Publié le par Justin Hurle

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Il l'était annoncé, le voici donc, le troisième volet de l'errance de Dunk et de l'Œuf, son écuyer. Après Le Chevalier errant et L'épée lige déjà chroniqués ici, L'Œuf de dragon a toutefois été édité en 2010, dans l'anthologie Warriors(1), laquelle ne tarderait pas à débarquer en France - elle recueille des nouvelles dont certaines se déroulent dans l'univers du Trône de Fer. À moins que la raison commerciale pousse Pygmalion à les publier une à une...

Nous retrouvons donc Dunk, chevalier errant au surmoi forgé par feu ser Arlan, et l'Œuf dont la lucidité d'esprit et la science de l'héraldique suffisent à le démarquer de la populace. (Ce crâne chauve serait coiffé d'une longue tignasse blonde que cela n'étonnerait personne.) Et ce duo improbable prend la route de Winterfell pour se mettre au service des Stark, lesquels combattent les Fer-nés toujours prompts à la piraterie sauvage.

 

Sur une pique des portes de Pierremoûtier, la tête encore fraîche d'un septon rappelle dès les premières pages, le contexte historique. Lequel ? Meakar n'est pas encore Roi des Sept couronnes. Mais il aurait dû être sa Main. Or, Aerys I Targaryen a nommé Brynden Rivers, dit Freuxsanglant, le bâtard albinos d'Aegon IV Targaryen. Ce qui ne plait pas à son frère Meakar. Ce dernier boude le Conseil et s'est retiré à Lestival.

Quel rapport avec à la tête du septon assaillie de corbeaux ? Avant d'être raccourci, il avait été entendu prêcher à l'encontre du bâtard, Main du Roi. Ce qui n'était pas très futé. Ce dernier, en véritable araignée, avait conçu un réseau d'espions efficaces, ce qui ne manqua pas de donner naissance à la devinette : « Combien d'œil à Freuxsanglant ? Mille, et un. » C'est dire si le septon aurait dû la fermer.

 

En chemin, Dunk et l'Œuf sont rattrapés par un convoi armé, emmené par Gormon Peake, Alyn Chantecoq et l'énigmatique Jehan le Ménétrier. À part pour ce dernier, la rencontre n'est guère amicale. Dunk subit les frais de la condescendance de Peake : les faits d'armes ne suffisent pas à faire d'un chevalier, un noble... Lui rappelant par là que la noblesse ne se gagne qu'au sortir d'un con ascendant fort bien marié.

Ce n'est, du reste, pas pour rien que le convoi se dirige vers Murs-blancs. L'ancienne Main du roi, le vieux Ambrose Beurpuits, tout juste veuf, organise des joutes en l'honneur... de ses noces. Mieux vaut tremper sa nouille dans un jeune con, même défloré, que noyer son chagrin dans la vinasse aigre. Cependant, ne nous y trompons pas. À l'instar des mariages les plus nobles, les intérêts de celui-ci dépassent toute courtoisie héraldique... Et ce d'autant plus que la mariée est une Frey. Mais pour l'heure, Dunk apprend, aux dires de l'Œuf, que Gormon Peake serait le meurtrier de l'écuyer de feu son maître ser Arlan de Pennytree. Autant participer aux joutes, se dit le chevalier errant, cela ne serait pas pour déplaire à l'Ancien que de tirer rançon à Gormon Peake, après l'avoir défait.

 

La véritable force narrative de George R. R. Martin, est, d'une part, d'empiler les petites histoires dans la grande, l'Officielle, celle écrite par les vainqueurs. Ici, les aventures d'un Dunk toujours prompt à talocher l'oreille de l'Œuf - lequel n'hésiterait pas, lui, à utiliser sa botte princière pour se sortir de la panade - se déroulent sur fond de rébellion dont la légitimité que rend le roi Aegon IV Targaryen à tous ses bâtards marque le prélude.

D'autre part, il démontre avec panache qu'ô combien il est difficile de faire preuve de moralité, d'honnêteté, d'éthique chevaleresque même, sur les chemins d'un Westeros enkysté de cynisme, de convoitises infectes et de corruptions actives si chers à ceux dont le pouvoir, l'argent, sont les valeurs essentielles. Le tout, agrémenté d'un soupçon de fantasy incarné, ici, par un œuf de dragon bientôt chapardé par des nains à défaut d'éclore.

 

(1) Un recueil de nouvelles présentée par George R. R. Martin et Gardner Dozois, Tor Books, mars 2010.

 


Publié dans bOukine Rit

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