Haggarth, le guerrier à la quête inachevée.

Publié le par Justin Hurle

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Incroyable que cette œuvre fondamentale de l’héroic fantasy n’ait jamais été publiée sous forme d’album ! Elle compte pourtant quatre tomes, dont les deux premiers seulement ont été diffusés dans la célèbre revue À suivre, de 1978 à 1979. 35 ans après, voilà une bonne chose faite, donc – d’autant plus que cette édition est une première pour la suite des aventures d’Haggarth qui, faute d’accord entre Victor de la Fuente  (1927-2010) et Casterman, n’ont pu se poursuivre.

Dès le premier opus – Le crâne aux trois serpents – Victor de la Fuente plante à la fois un contexte politique non dénué de sens et un prologue tout aussi dramatique que poétique.

Des guerriers Tuna emmenés par Haggarth, pénètrent le pays voisin et se dirigent vers un monastère afin de s’emparer d’une relique : le crâne aux trois serpents. Ce dernier étant le symbole de l’unité d’un peuple dont on ne sait le nom, l’objectif est donc de l’affaiblir en jouant la carte de la désunion politique et, le cas échéant, lui déclarer la guerre.

Or, sur place, la riposte ne tarde pas. De nombreux paysans et bucherons tombent, de même qu’Haggarth et la plupart de ses hommes. Toutefois, un seul d’entre eux réussit à prendre la fuite avec, dans sa musette, la relique.

Parmi les défenseurs, il en est un qui, à la suite d’un coup de sabre malheureux, devient aveugle. Il est alors secouru par un passant, Matu de Mossa, « le colporteur qui n’a rien à vendre ». Puis, des corps jonchant le sol, il repère Haggarth, lequel respire encore ; le charge dans sa roulotte et les mène tous deux chez Arnia, une sorcière « vieille comme l’éternité ».

Arrivé à sa demeure, le Tuna trépasse. Dès lors, pourquoi ne pas lui faire la proposition alléchante de recouvrer la vue en prenant possession de la tête du Tuna mort ? Car Arnia le peut... Mais non sans contrepartie : celle de vivre dans un monde de contraction et d’angoisse, car l’esprit du bucheron, à coexister avec celui d’Haggarth, ne trouvera jamais le repos – du moins, se dotera-t-il d’un nom, enfin ! Car, à l’instar de celui de son clan comme de son peuple, le lecteur ne le connait pas non plus.

Une quête d’identité plus qu’une lutte contre une schizophrénie manifeste qui mènera Haggarth Vers d’autres contrées, le dernier opus inachevé de cette saga – ce qui est le comble pour quelqu’un qui se cherche. Entre rencontres inopinées, destins croisés et libre arbitre, Haggarth, déraciné depuis qu’il a recouvré la vue (comment aurait-il pu rentrer chez lui avec la tête d’un autre ?), n’a d’autre choix que d’errer sur les chemins qui, fort heureusement pour lui, le pousse à lutter contre les tyrans. Avoir un but occupe l’esprit, le centre plus qu’il ne le disperse.

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Haggarth n’est pas le premier héros errant et solitaire de Victor de la Fuente. En 1971, quatorze épisodes des aventures de Haxtur, un guerrier à l’épée condamné à errer à travers le temps et l’espace, avaient déjà été publiés dans la revue Trinca et, dès 1973, ils ont été réunis en deux recueils publiés par les Éditions Dargaud : Les Peuples de la nuit et Le Pays des maléfices. Puis, sur un registre fantastico-post-apo, arrive chez Hachette : Mathaï-Dor (1974). Deux albums là encore : La nuit des temps et La capture du feu.

C’est un auteur particulièrement rodé aux codes de l’héroic fantasy naissante que les Éditions Casterman contactent, en 1977, afin de l’inclure à une équipe exceptionnelle (Tardi, Hugo Pratt, les frères Schuiten, Bourgeon...) de la toute nouvelle revue À suivre. Dès lors, n’hésitons pas à prendre cette publication inédite pour un hommage rendu à l’œuvre inachevée de Victor de la Fuente, ce grand adepte du réalisme forcené et, donc, très attaché au noir et blanc dont les contrastes soutiennent, gratifient même, la narration comme le spectacle graphique.


Publié dans bOukine Rit

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